Les pilotes ont beaucoup à penser à bord de leur 300 chevaux… Rien que sur le manche gauche du guidon, onze leviers, interrupteurs et boutons. Ne vous étonnez pas qu’ils s’emmêlent les pinceaux.

Du côté gauche du guidon de la Ducati Desmosedici GP25 de Marc Marquez, beaucoup de choses se passent !
La main droite de Marc Marquez fait peut-être la part la plus importante du job avec l’accélérateur et le frein avant. Mais c’est sa main gauche la “multitâche” qui gère les 11 leviers, interrupteurs et boutons.
Ces commandes contrôlent tout du levier de frein à l’embrayage en passant par le système holeshot et les cartes électroniques. La plupart ont des rôles bien définis, d’autres un peu moins. Surtout les trois leviers holeshot. Même s’ils disparaîtront des motos de GP à la fin de la saison 2026, au même titre que les dispositifs de “ride-height” (réglage de la taille de la moto en conduite), Ducati continue de se montrer discret à propos de “quel bouton fait quoi”.
Depuis Le Mans, un nouveau levier s’est ajouté aux commandes de la GP25 de Marc Marquez, en tout cas, c’est ce qu’il a répondu quand je lui ai demandé…
« Euh, demande à Gigi [Dall’Igna, directeur et expert MotoGP de Ducati]. Je ne sais pas, désolé… Mais c’est l’avant et l’arrière, donc les deux. C’est comme avant, mais avec des positions différentes. »
Cette profusion de commandes sur les guidons des MotoGP ne rend pas seulement la vie compliquée aux pilotes qui essayent de se rappeler quoi fait quoi. Elle peut aussi les pousser à faire des erreurs pendant les courses, appuyer sur le mauvais, en oublier un.
“Dans certaines situations, c’est difficile de tout gérer, mais après tout, on peut s’habituer à tout et ça se transforme en automatisme” Marc Marquez. “Mais c’est vrai que ça peut être un peu trompeur, surtout quand vous cherchez votre rythme au milieu d’une course, parce que si vous êtes pas 100% focus, vous pouvez louper quelques boutons, tout ça parce que pendant un tour entier, vous êtes en train de toucher d’autres trucs. Alors c’est vrai qu’on en a de plus en plus (de commandes) mais on est en train de développer un nouveau système pour le futur.”
Le dispositif de holeshot avant de la Ducati s’inspire d’un concept utilisé il y a de nombreuses années en motocross. Il s’agit d’un dispositif mécanique simple qui bloque la fourche à pleine compression lorsque le pilote serre la fourche en s’approchant de la grille.
Le dispositif de holeshot arrière est tout sauf simple. Lorsque les responsables du règlement MotoGP ont interdit la suspension électronique/active dans les années 1990, ils n’ont pas tenu compte de l’ingéniosité de Dall’Igna et du physicien théoricien Robin Tuluie. Ce dernier a construit son premier régulateur hydraulique de hauteur de caisse pour Mercedes en Formule 1, où la suspension électronique est également interdite. Il utilisait un ordinateur hydraulique composé de 2 000 pièces : soupapes, accumulateurs, câbles et flexibles hydrauliques haute pression.
Après ça, Tuluie a construit une version plus petite pour Ducati. L’unité permet au pilote de tirer un levier pour abaisser l’amortisseur arrière pour les démarrages, ou d’actionner un interrupteur pour comprimer l’amortisseur pour les sorties de virage.
Les dispositifs Holeshot et le réglage de la hauteur de caisse abaissent la moto, la transformant en moto de dragster. Elle fait donc moins de wheelings, permettant ainsi au pilote d’utiliser davantage l’accélérateur.
Voici ce que nous savons (et ce que nous devinons lorsque nous ne le savons pas) sur les onze leviers, boutons, interrupteurs et molettes :

Un mécanicien de Marquez comprime l’arrière de la GP25 tout en tirant le levier n°1 Crédits photos : Oxley
- Un nouveau levier holeshot a été introduit au Mans, où les pilotes ne freinent pas trop fort dans le premier virage du circuit français. Il existe donc toujours un risque que les dispositifs holeshot ne se désactivent pas. Dans ce cas, le pilote ne pourra piloter correctement qu’après les avoir désactivés en freinant fort pour le virage suivant. Ce levier actionne les deux dispositifs Holeshot, comprimant l’amortisseur arrière et permettant au pilote de bloquer la fourche à pleine compression. J’ai observé des mécaniciens travailler sur les motos de Marquez, actionnant ce levier pour comprimer l’arrière de la moto. Le troisième pilote GP25, Fabio Di Giannantonio, utilise également le nouveau levier, mais le coéquipier de Marquez chez Ducati, Pecco Bagnaia, est resté fidèle à l’activateur holeshot arrière existant, une sorte d’écrou papillon au-dessus du commutateur électronique.
- Le levier d’embrayage. Si tout se passe bien, le pilote n’utilise l’embrayage qu’au démarrage et à l’arrêt.
- Le contrôle Holeshot. Marquez actionne ce levier lorsqu’il s’arrête avant un départ, après avoir abaissé l’arrière et verrouillé la fourche avant. De plus, cette commande semble se trouver sur le trajet du levier d’embrayage ; ainsi, lorsqu’il ouvre l’embrayage avant le départ, le levier actionne également le contrôle Holeshot. Cela permet-il de désengager le dispositif Holeshot avant ou les deux ?
- La commande du levier de frein avant. Ce bouton permet de régler l’amplitude du levier de frein avant, permettant ainsi au pilote de conserver l’amplitude souhaitée pendant la course, qui varie en fonction de la température et de l’usure des freins, etc.
- Réglage de la hauteur de caisse, sur interrupteur. Cette pièce est empruntée au système de réglage de la hauteur de caisse d’un VTT. Le pilote appuie dessus pour comprimer manuellement l’arrière et abaisser le centre de gravité en sortie de virage. En résumé, l’idée est de transformer une MotoGP en moto de dragster jusqu’au prochain virage. Il existe également des activateurs automatiques pour effectuer cette opération dans certaines situations.

Bagnaia continues to use the wingnut-type holeshot engager to the left of the fork tops. Note the kill switch on the right handlebar, guarded by a surround, to prevent the rider hitting it by mistake
Crédits phots : Oxley
- L’interrupteur de réglage de la hauteur de caisse. Ce dispositif désactive le dispositif de réglage de la hauteur de caisse arrière, via des câbles et un système hydraulique, pour relever l’arrière à sa position habituelle. Des activateurs automatiques permettent également cette opération dans certaines situations.
- Les boutons de commande rouge, jaune et vert – couleurs au choix du pilote. Un bouton pour le contrôle de traction, un pour la distribution du couple et un pour le contrôle du frein moteur. Le pilote appuie sur les boutons pour parcourir trois cartes sur chaque bouton et choisir plus ou moins de réglages, en fonction des conditions d’adhérence, de l’usure des pneus, etc. Par exemple, lorsque le pilote a moins d’adhérence en fin de course, il peut vouloir réduire le frein moteur afin d’éviter le blocage du pneu arrière et un dérapage excessif en entrée de virage.
- Le levier de réglage de la hauteur de caisse. Ce levier permet au pilote de commander à l’avance l’amortissement de l’amortisseur arrière, ce qui est pratique car il est déjà très occupé dans les virages.
- Le levier de frein arrière, actionné par le pouce gauche. La plupart des pilotes de MotoGP utilisent le frein arrière au pouce, car en virage, ils n’ont pas la place d’appuyer sur le levier traditionnel avec leur pied droit. Certains pilotes ont un système bidirectionnel, avec levier au pouce et levier au pied droit, leur permettant d’utiliser l’un ou l’autre selon la situation. Le frein arrière ne sert pas seulement à freiner la moto, mais aussi à la faire tourner et à réduire le patinage des roues.
Même si cinq de ces commandes disparaîtront à la fin de 2026, il ne fait aucun doute que Dall’Igna et d’autres ingénieurs réfléchiront à de nouveaux dispositifs qui trouveront leur chemin dans la réécriture majeure des règles du MotoGP pour 2027.
Dall’Igna a eu l’idée du réglage de la hauteur de caisse peu de temps après avoir équipé sa Desmosedicis d’un dispositif de holeshot arrière en 2018. En juin 2019, le pilote d’usine Ducati Andrea Dovizioso a conduit une Audi lors d’une manche italienne du championnat automobile DTM, ce qui a fait réfléchir Dall’Igna…

Bagnaia et Marquez sur leurs Desmosedicis pour les essais de pré-saison de février à Sepang. Crédits photos : Oxley
“On parlait de la course et Andrea m’a dit qu’il devait actionner un interrupteur qui pulvérisait de l’eau pour refroidir les freins”, m’a raconté Dall’Igna il y a quelques années.”Je me suis dit que si un pilote pouvait actionner un interrupteur pendant la course, pourquoi pas un motard ? » C’est ainsi que j’ai commencé à réfléchir à un système permettant au pilote d’abaisser sa moto, non seulement au départ, mais aussi pendant les courses.”
L’ironie du fait que les motos MotoGP du 21e siècle soient dotées de tant de commandes est que les motos de course étaient équipées de la même manière un siècle plus tôt : accélérateur, levier d’embrayage, levier de décompression, leviers d’air/mélange, levier d’avance et de retard d’allumage, pompe à huile, sélection de vitesse (souvent à la main), leviers de frein, etc.
Il s’agit de PJ Wallace se souvenant de la procédure frénétique et complexe de la course d’un monocylindre Rudge 500cc autour de Brooklands (le premier circuit de course spécialement construit au monde, ouvert en 1907) peu avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale.
« Je connaissais déjà la procédure de départ », écrivit Wallace. « Le levier d’échappement levé, on poussait la machine, on courait à ses côtés jusqu’à ce qu’au bon moment on lâche le levier et, tandis que le moteur s’emballe, on saute en selle. Sur la ligne de départ, placée au milieu d’une trentaine ou d’une quarantaine de concurrents répartis sur toute la largeur de la piste, d’une trentaine de mètres, j’attendais avec impatience le signal du départ. »
Finalement, le drapeau s’abaissa. Trois douzaines de jeunes hommes poussaient leurs lourdes machines et foncaient à toute vitesse. Ce fut le chaos. D’abord quelques-uns, l’un après l’autre, puis la masse des moteurs s’emballa. Alors que les pilotes sautaient en selle, les motos virèrent dangereusement les unes près des autres. Alors que mon propre moteur s’activait, le gars de droite fit une embardée devant, manquant ma roue de quelques centimètres en se dirigeant vers l’intérieur de la piste.
“Ma machine basculait de façon inattendue et il fallait tout mettre en œuvre pour maintenir sa trajectoire. Les difficultés étaient accentuées par la nécessité de jongler avec les deux leviers commandant le carburateur. Sans oublier le levier d’avance et de retard d’allumage, situé sur le côté du réservoir, auquel mes genoux étaient de toute façon fermement agrippés.”
“Et puis il y avait la pompe à huile. « Un dysfonctionnement pouvait entraîner un grippage du moteur, un dérapage important, voire la projection du pilote par-dessus le guidon. En randonnée, un plein d’huile tous les 16 kilomètres suffisait généralement. En course, beaucoup plus, car l’échappement rejetait une grande quantité d’huile. Pour actionner la pompe, il fallait lâcher le guidon ; ce n’était pas si grave si la pompe revenait grâce à un ressort. Le modèle le plus courant, avec un robinet à deux voies, était un cauchemar : quatre opérations consécutives en vingt secondes. Prendre une mauvaise bosse avec une main levée était un enchaînement de situations à éviter…”
Texte original : Mat Oxley