Marco Bezzecchi est la nouvelle superstar du MotoGP. Il ne faut pas se fier à son air nonchalant, le pilote du Team VR46 gagne des courses au guidon d’une Ducati de l’an dernier et sait effectuer des dépassements audacieux, même si certains mettent en colère ses rivaux… Le jeune Italien évolue dans la droite lignée de Valentino Rossi et Marco Simoncelli. Du pur art !
Cette rencontre avec Marco Bezzecchi se déroule le jeudi du Grand Prix de France. Un timing idéal. Nous sommes deux semaines après Jerez, où les commissaires de la FIM ont infligé des pénalités à tout ce qui bougeait, notamment Pecco Bagnaia, Franco Morbidelli et Fabio Quartararo. Dans le paddock, les sanctions font toujours l’objet de discussions animées. Les pilotes ont d’ailleurs exigé une réunion avec les commissaires pour mettre de l’ordre dans ce foutoir. Les fans du MotoGP ne sont pas en reste. L’un d’entre eux a même eu la brillante idée de fabriquer un formulaire FIM intitulé : “Permission de dépasser pendant une course”. Je l’ai imprimé puis rempli au nom de Bezzecchi et, lorsqu’il s’assoit, lui demande de le signer, juste pour rire. L’Italien semble confus, ne sachant pas si le formulaire est réel ou non. Ce qui en dit long sur l’état actuel du MotoGP…
– “C’est juste une blague” dis-je.
– “Je ne préfère pas signer, répond-il très sérieux. Sinon, ils vont me casser les c***. Désolé.”
Aucun problème. Je suppose qu’il veut me dire que les commissaires de la FIM l’ont déjà ennuyé pour pilotage dangereux. Je commence donc l’entretien par des questions gentilles et amicales, juste au cas où il penserait que je lui veux du mal. Marco Bezzecchi a remporté son premier GP en Moto3 en 2018, sa première victoire en Moto2 deux ans plus tard et son premier succès en MotoGP en avril. Toutefois, ce qui l’a fait sortir du lot à mes yeux, c’est ce qu’il a réalisé à Phillip Island l’an passé, confirmant ce que Casey Stoner, double champion MotoGP, m’avait dit à son sujet alors que le jeune Italien était encore en Moto2.
Phillip Island est un circuit rapide et effrayant, en particulier lors des fraîches séances matinales, lorsqu’il est difficile de faire chauffer le bon côté des pneus. Il est donc facile de se mettre au sol et une chute là-bas fait souvent très mal. Le vendredi matin, Bezzecchi se lance donc dans la FP1 alors qu’il n’a jamais roulé sur ce circuit avec une MotoGP de 300 chevaux, qu’il n’y a tout simplement pas roulé depuis trois ans, la Covid19 ayant eu raison des GP d’Australie 2020 et 2021. Il ne fait pas seulement froid, la piste est encore humide par endroits à cause de la pluie tombée la nuit. On s’attend donc à ce qu’il s’y mette doucement, observant ce que font les pilotes plus expérimentés et augmentant sa vitesse en conséquence. Mais non, car après seulement onze minutes, soit sept tours, Bezzecchi est le plus rapide, devant Marc Márquez, Fabio Quartararo et consorts. Comment est-ce possible ? J’ai alors tilté : Bezzecchi surfe sur une énorme vague de talent naturel, de sorte que son esprit et son corps savent instinctivement ce qu’il faut faire. Attaquer le premier droit à 200 km/h avec un pneu avant froid ? Aucun problème ! Bezzecchi, qui n’est pas un prétentieux insécurisé cherchant à gonfler son ego, minimise les choses.
– “Tout d’abord, Phillip Island est un circuit que j’adore. Cela rend les choses plus simples. De plus, son tracé convient parfaitement à mon style de pilotage, car j’aime les virages rapides et Phillip Island en compte beaucoup. Je sortais aussi d’un bon moment sur la moto [il venait de mener le GP de Thaïlande le week-end précédent], ce qui m’a aidé à garder un état d’esprit très positif. J’étais très confiant et très heureux de piloter, donc c’était une bonne combinaison.”
Fin 2021, alors que Bezzecchi occupait la troisième place du championnat Moto2, loin derrière Remy Gardner et Raul Fernandez, j’ai discuté avec Stoner. Qui parmi les jeunes pilotes estimait-il le plus ? “Bezzecchi, car il utilise des trajectoires intéressantes que les autres ne peuvent pas utiliser.”
– “Peut-être qu’il est plus facile de voir ça de l’extérieur que de l’intérieur. Tout ce que je sais, c’est que j’essaie toujours de travailler sur tout ce qui est possible pour réussir à faire la différence. Si Casey a vu quelque chose, recevoir ces mots de sa part est fantastique pour moi”.
A-t-il donc naturellement beaucoup de talent ?
– “Un peu, bien sûr, comparé à d’autres pilotes, mais cela ne fait pas tout. Aujourd’hui, la vitesse ne suffit pas en compétition. Il faut vraiment travailler. Je pense que je suis plutôt rapide sur la moto, mais c’est aussi grâce au travail que je fais à la maison et sur les courses.”
Un instinct bien caché
La vie de Marco Bezzecchi a changé pour toujours en 2015, lorsqu’il a reçu un appel de la VR46 Riders Academy. L’école l’avait remarqué en train de dominer le championnat italien de Moto3, remportant toutes les courses auxquelles il participait.
– “C’était incroyable ! Ils n’étaient jamais venus me voir courir avant que nous nous parlions. Puis nous avons parlé et ils ont dit : ‘OK, on va venir te voir piloter.’ J’ai signé avec l’Académie juste avant Noël. C’était un cadeau incroyable, un rêve.”
Comme de nombreux Italiens, Bezzecchi vénérait Rossi depuis qu’il était enfant. Rejoindre la VR46 Academy était donc comme travailler avec Dieu lui-même au paradis.
– “J’étais nerveux à chaque fois que j’étais avec lui parce qu’il a toujours été mon idole.
Le voir tous les jours n’a jamais été normal, jusqu’à ce que je grandisse un peu et que, ces dernières années, nous commencions à être plus proches, plus amis. Au début, j’avais du mal à parler avec lui, même s’il était très doué pour me mettre à l’aise.”
Le pilote du Mooney VR46 Racing Team est né et a grandi à Rimini, près de Misano, le creuset de la course moto en Italie. Valentino Rossi, Enea Bastianini, Andrea Dovizioso, Marco Simoncelli et bien d’autres sont originaires de la même région. Son père possède un garage automobile en ville et – c’est toujours la même histoire – a offert un jour à son fils une minimoto pour qu’il puisse rouler sur les circuits de lilliputiens qui parsèment Rimini, tout comme Graziano Rossi avait offert une minimoto à son fils trois décennies auparavant.
Mais si le jeune Bezzecchi a passé ses week-ends à sauter sur le canapé en regardant Rossi détruire ses rivaux, puis à imiter son héros sur le circuit du coin, il n’aimait pas la course. Non, il aimait rouler seul, en évitant de se battre avec les autres enfants. S’il y avait trop de trafic sur la piste, il disait : “Rentrons à la maison”, se souvient son père. Puis, petit à petit, il s’est lancé dans la bataille, passant du succès au niveau local en minimoto au MotoGP, où il est réputé pour son agressivité, au point de s’attirer les foudres de ses adversaires. Je pensais que c’étaient les commissaires de la FIM qui lui cassaient les c***, je me trompais…
– “Non, ce sont certains pilotes, parce qu’ils estiment que je suis trop agressif. Pour moi, la course est comme ça, que cela plaise ou non. En ce moment, tout le monde est si rapide en MotoGP et si difficile à dépasser que vous devez être agressif. Pas besoin d’être sale, mais agressif, oui. Et tout le monde est agressif !”
En discutant avec ce jeune homme de 24 ans, rien ne laisse penser qu’il possède un instinct de tueur. Il est très décontracté, aime le reggae, est déconneur et un peu débraillé. Il n’a rien du profil habituel du pilote professionnel aux cheveux lisses et aux yeux de tueur. On se dit alors qu’il pourrait être l’enfant caché de Rossi ou de Simoncelli, dont le décès en 2011 a incité Rossi à créer sa VR46 Riders Academy. “Il y a quelque chose en Marco qui le fait briller, alors nous devions le signer”, se remémore Uccio Salucci, directeur du team, à propos de leurs premières rencontres en 2015. Bezzecchi sait d’ailleurs qu’il ne serait pas là où il est aujourd’hui si VR46 n’avait pas repéré son talent. “Cela aurait été impossible pour moi sans Valentino.”