Les décès de Jarno Saarinen et de Renzo Pasolini ont eu lieu il y a 50 ans, en 1973, lors du Grand Prix d’Italie à Monza. Le choc de ces pertes fut sidérant. C’est simple, il n’y a jamais eu de jour plus sombre dans l’histoire des Grands Prix moto.
En mai 1973, Jarno Saarinen était sur le point de remporter le championnat du monde 500cc pour la première fois, mais peu de gens pensaient qu’il allait devenir l’un des plus grands pilotes de moto de tous les temps. Pourtant, à cette époque, Saarinen avait déjà changé son sport. C’est lui qui a appris au “King” Kenny Roberts à se déhancher sur sa moto afin d’améliorer ses chronos. Une technique qui est depuis devenue universelle. Si le Finlandais avait vécu plus longtemps, les Grands Prix auraient peut-être été très différents durant le reste des années 1970. Yamaha n’aurait probablement pas engagé Giacomo Agostini et Barry Sheene aurait eu plus de mal à remporter la couronne 500cc à deux reprises avec Suzuki.
Le contexte
Bien sûr, nous ne le saurons jamais, car Jarno Saarinen a perdu la vie dans un terrible accident lors du GP d’Italie 250cc à Monza, dans l’après-midi du 20 mai 1973. Saarinen était arrivé à Monza auréolé du statut de champion du monde en titre de la catégorie 250cc. Il était également en tête des classements provisoires 250cc et 500cc, après avoir remporté les trois premières courses de la catégorie 250cc et deux des trois premières épreuves 500 (sa chaîne s’est brisée alors qu’il menait la troisième) au guidon de la première 500cc de GP de Yamaha : la 0W19. Ironiquement, il avait prévu de ne pas participer au Tourist Trophy de l’Ile de Man qui suivait, car, comme la plupart des habitués du Continental Circus, il considérait le circuit comme trop dangereux.
Monza, construit en 1922 dans un parc royal à l’extérieur de Milan, fut le premier circuit automobile d’Europe, mais il n’était guère sûr, même en voiture. Entre 1922 et 1970, le circuit a coûté la vie à 12 pilotes et 41 spectateurs, tués par des voitures hors de contrôle. C’est finalement à la suite de la mort de Jochen Rindt, champion du monde de Formule 1 en 1970, lors du GP d’Italie de 1971, que le circuit a été modifié et doté de deux chicanes. Sauf que celles-ci n’étaient pas utilisées par les motos. Les organisateurs de Grand Prix de l’époque étaient réputés pour leur attitude sans coeur, en particulier à l’égard des pilotes motos.
Exemple criant : avant le départ du GP 250cc, plusieurs pilotes les ont suppliés de nettoyer la piste après qu’une moto ait laissé échapper de l’huile lors de la course des 350cc. Les organisateurs ont refusé, puis ont appelé la police afin d’expulser les gêneurs de leurs bureaux. Ambiance.
Le chaos
Peu après 15 heures, alors que le starter agite le drapeau tricolore italien sur la grille de départ bondée, plus de 30 pilotes élancent leurs bicylindres deux-temps dans une galopade furieuse et enfumée. Le champion du monde 125cc de 1970, Dieter Braun, mène la charge. Son superbe départ lui a d’ailleurs probablement sauvé la vie. Juste derrière lui se trouvent le héros italien Renzo Pasolini sur sa Harley-Davidson, Saarinen et le reste du peloton.
Alors qu’ils s’engouffrent dans le premier virage, la Curve Grande qui passe à 220 km/h, un piston de la Harley de Pasolini se grippe. Le jeune homme de 34 ans ne réussit pas à débrayer à temps pour libérer le moteur, sa roue arrière se bloque, sa machine pivote sur le côté et le projette en l’air. Saarinen ne peut éviter l’accident et tombe à son tour. À partir de cet instant, la Curve Grande devient un véritable enfer. Probablement le théâtre du pire accident de l’histoire des GP moto.
Pasolini et Saarinen sont percutés et meurent tous les deux sur le coup. De nombreux autres pilotes chutent dans la foulée, 14 au total. La masse de pilotes et de motos tombés à terre laisse en réalité peu de chances d’y échapper à ceux qui se dirigent vers le chaos. Dans le même temps, la rupture des réservoirs d’essence et les étincelles provoquées par le frottement du métal sur l’asphalte déclenchent un incendie qui se propage rapidement aux bottes de foin situées en bordure de piste. “C’était comme si une bombe avait explosé” a plus tard déclaré l’Australien John Dodds.
Panique et incompréhension
L’accident s’est produit à une telle vitesse que si certaines victimes peuvent s’écarter de la piste, d’autres restent sur place, attendant une assistance médicale. Seulement, aucune n’est venue, du moins pas avant un long moment. Fait improbable, les organisateurs n’ont vu aucune raison d’arrêter la course. Elle s’est donc poursuivie, tant bien que mal, avec des survivants se frayant un chemin au milieu du carnage pendant les quelques tours suivants, jusqu’à ce qu’ils abandonnent et rentrent dans la pit-lane, traumatisés par ce qui s’était passé. Cela ressemblait plus à une guerre qu’à un sport.
“Lors du premier tour, personne ne m’a fait signe, expliqua Braun, qui n’avait aucune idée de ce qui s’était passé derrière lui. Lorsque j’ai abordé la Curve Grande pour la deuxième fois, un pilote s’est précipité vers moi en agitant les bras. Je me suis frayé un chemin à travers le brasier. Lors de mon deuxième tour, je n’ai pas vu d’avertissements de la part des commissaires…”
Deux mois plus tard, Monza accueillit une manche du championnat italien. Le docteur Claudio Costa – qui est en train de créer la première Clinica Mobile qui sera bientôt présente sur tous les GP – demanda alors aux organisateurs de placer une ambulance dans la Curve Grande, au cas où une nouvelle chute collective se produirait. Ceux-ci refusèrent. Une fois de plus, plusieurs pilotes chutèrent ensemble dans le virage. Le temps qu’une ambulance arrive, trois avaient péri. “Tant que des pistes comme Monza seront utilisées, la vie d’un pilote ne vaudra pas plus que celle d’une souris dans une souricière – rien”, ajouta Braun.
Deux leçons
Les décès de Jarno Saarinen et de Renzo Pasolini ont choqué le milieu du sport et rendu les pilotes encore plus furieux qu’ils ne l’étaient déjà. Au cours des cinq années précédentes, les Grands Prix étaient devenus terriblement dangereux. Dix-neuf pilotes avaient perdu la vie au Tourist Trophy, à Spa-Francorchamps, au Nürburgring, à Brno, à Hockenheim et au Sachsenring. En 1972, la mort de Gilberto Parlotti lors du TT avait même marqué le début de la mobilisation des pilotes pour un avenir plus sûr, car elle a convaincu Giacomo Agostini, Phil Read et d’autres de boycotter l’événement.
Malheureusement, c’est souvent le cas dans les courses : des pilotes doivent mourir avant que les responsables ne fassent quoi que ce soit pour améliorer la situation. La tragédie de Monza a donc accéléré le désir des pilotes d’améliorer la sécurité des circuits. La leçon de cet événement fut double. Primo, les constructeurs devaient améliorer la conception de leurs moteurs, leur métallurgie et leur lubrification afin de réduire le nombre de serrages, à l’origine de nombreux accidents à l’époque.
Par exemple, la Harley-Davidson de Pasolini utilisait un système de refroidissement à eau rudimentaire, loin d’être aussi efficace que celui de Yamaha. En fait, Harley n’a pas été officiellement accusé de l’accident pendant de nombreuses années. Au départ, c’est un autre pilote italien, Walter Villa, qui a été tenu pour responsable, car sa Benelli quatre-temps avait laissé échapper de l’huile lors de la course des 350cc. D’où la demande de nettoyage. Villa a également pris le départ de la course 250cc et s’est retrouvé parmi les pilotes à terre dans la Curve Grande. Il est resté en état de choc et muet pendant plusieurs jours.
L’enquête
Cependant, après l’accident, les enquêteurs ont démonté les motos de Saarinen et de Pasolini. Ils ont trouvé des preuves irréfutables que le piston droit de la Harley était bloqué, concluant que le système de refroidissement par eau de la moto était la cause de l’accident. Reste que les résultats de l’enquête sont restés secrets pendant vingt ans. Ce n’est qu’en 1993, lorsque le magazine italien Tuttomoto les a publiés, que Villa et Benelli furent disculpés. Personne ne sait pourquoi il a fallu tant de temps pour que la vérité éclate, mais des accusations de dissimulations furent mises en avant.
Deuxio, cet accident a prouvé sans l’ombre d’un doute que les glissières de sécurité étaient mortelles pour les motocyclistes. Ces rails métalliques avaient été exigés par les pilotes de Formule 1 pour améliorer leur sécurité, empêchant les voitures de sortir de la piste. Les motocyclistes, qui surnommaient ces éléments les “rails de la mort”, voulaient eux qu’ils soient retirés. Il fallut des années pour y parvenir. Les courses de voitures rapportaient plus d’argent. Les coureurs automobiles avaient donc plus de poids auprès des organisateurs.
En 1982, plusieurs grands pilotes de Grand Prix ont engagé l’ancien pilote Mike Trimby pour défendre leurs droits. Trimby a impulsé de grands progrès avant de créer l’IRTA, l’association des équipes, qui gère encore aujourd’hui le paddock du MotoGP. Quelques mois après la tragédie de Monza de 1973, Yamaha a publié son propre rapport sur l’accident. “Les courses de motos comporteront toujours un élément de danger”, peut-on y lire. On peut effectivement dire que le danger est nécessaire pour faire ressortir les qualités d’un champion lorsque l’homme et la machine s’efforcent d’atteindre la performance ultime.
Seulement, les dangers inutiles et insensés peuvent, et doivent, être éliminés par devoir envers les compétiteurs.
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